[Dimanche K.bd] Sutures
Sutures (2009 fr, titre original Stitches, 2009 us), David Small
Un bouquin dont ne parle pas avec assez d'enthousiasme ! Ca y est... mon côté hyperbolique reprend le dessus...
Sutures est un graphic novel autobiographique de l'américain David Small, illustrateur et auteur américain né en 1945, que je ne connaissais pas mais qui semble avoir une oeuvre fortement développée. L'auteur nous ouvre sa vie de son enfance à la fin de sa jeunesse. Une partie de sa vie qui, c'est un euphémisme, fut éprouvante : abondamment 'soigné' aux rayons X par son père médecin dans son enfance (nous sommes dans les années 50), David développe un cancer au cou tardivement diagnostiqué et soigné, ce qui lui coûte au passage partiellement sa voix.
Au delà de cette destinée déjà tragique, il s'agit surtout pour l'auteur de décrire un univers familial très particulier, à la fois anodin pour les années 50 (père médecin, deux enfants) et terriblement marquée par un côté mortifère avec l'absence d'affection des parents pour les enfants. La mère et le père sont campés au premier abord comme des personnages tout à fait effrayants (froids, cruels). L'immersion dans cette cellule familiale est violente et bouscule le lecteur piégé avec le narrateur dans ce monde triste. Le non-dit y est permanent : le silence couvre des pratiques différentes des normes sociales en vigueur alors. On se demande si les parents ne subissent pas cette décennie de l'american way of life (obligation d'élever ses enfants avec joie, l'unité familiale etc). En réaction, ils imposent des non-dits silencieux qui frisent l'absurdité. En contrepartie, le bruit joue un rôle particulier dans l'album (les percussions du frère de david, Ted), le bruit de la vaisselle faite par la mère etc.
De nombreuses scènes sont marquantes : notamment la véritable torture qu'inflige la grand-mère à David, ou celle où son père tente d'avouer, tant bien que mal, que c'est bien lui qui est sans aucun doute la cause du cancer, ou encore celle où la mère propose à David, au moment de l'opération du cou qui tourne mal, de lui apporter quelque chose, ce qui pourrait lui faire plaisir (ce qui est en complet décalage avec tout puisque la mère est plutôt peu démonstrative).
Et pourtant, malgré toutes les épreuves que David subit, il trace son existence et réussit à construire sa propre existence. En apparence, nul ressenti violent de la part de l'auteur. Sous la surface, les choses sont certainement plus complexes. Même si au final, on peut se demander si finalement l'auteur n'a pas de la pitié, de la compassion pour ses parents qui ont été en partie brimé par les contraintes des normes sociales. En tout cas, il semble y avoir un pardon.
En particulier avec le personnage de la mère, brossé avec une grande finesse (le père est beaucoup plus schématique et, d'une certaine manière, insignifiant). Le mot 'maman' est d'ailleurs celui qui ouvre l'album. Personnage complexe, changeante ; il me semble profondément malheureuse, sa mère est dure mais aussi faible physiquement. Je ne dirais pas le mot 'attachant', mais presque, tant le personnage est compliqué ! Small la décrit avec une telle sensibilité qu'on se demande s'il n'y a pas une sorte d'hommage caché (ou une tentative postmortem, le personnage étant décédé dans les années 70, de revaloriser, réhabiliter ?, sa mère).
Un mot de plus sur la narration : elle est d'une finesse à toute épreuve ! (à mon avis) Elle fait aussi preuve d'une grande fluidité, très proche d'un film, comme je l'avais lu dans une critique sur Internet. L'auteur de cette chronique ne se trompe à mon avis pas, Sutures ferait un excellent film ! Mais contrairement à ce qu'il propose, le fait que Sutures soit une bd n'est pas anodin. Le graphisme me paraît tout à fait pertinent : le trait, simple, les multiples aplats de gris qui nous plongent dans un univers ni noir, ni blanc. Les visages lunaires, l'intensité des regards, la construction des séquences visuelles (notamment les scènes de rêve ou de plongée dans la gorge de David jusque ses cordes vocales), tout fait preuve d'une grande maîtrise.
Sutures a été une excellente surprise ; là où j'attendais du nombrilisme, j'y trouve un récit fort, plein de vie d'une certaine manière, servi par un dessin et une narration fine. En refermant les dernières pages, après la séquence onirique finale, j'étais vraiment déstabilisé et touché. Et pour finir par une remarque stupide, les américains nous montrent de nouveau, qu'en matière de maîtrise simultané du graphisme et de la narration, ils sont vraiment les meilleurs. Je suis curieux de lire des avis sur cette bd ! dont on a pas assez parlé, et qui ne mérite pas le regard un peu blasé que j'ai pu voir ça et là.
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